15.09.2010
Perturbateurs endocriniens: vers un changement de paradigme ?
Les perturbateurs endocriniens sont de plus en plus suspectés de faire baisser la fertilité et de déclencher des maladies chez l’homme, sans que des preuves formelles aient été apportées. Chercheurs et lanceurs d’alerte plaident pour une nouvelle approche de l’évaluation des risques sanitaires et environnementaux afin de promouvoir une réglementation de ces substances, « avant qu’il ne soit trop tard ».
« Faut-il attendre 2031 et l’augmentation des cancers du sein pour décider d’agir ? » s’exclame Ana Soto, chercheur à l’université de Tufts (Boston, Etats-Unis), lors du colloque sur les perturbateurs endocriniens organisé par le Réseau environnement santé (RES), mardi 14 septembre à l’Assemblée nationale. La chercheure et lanceuse d’alerte américaine fait référence aux effets cancérogènes du bisphénol-A (BPA) observés chez le rat et la souris, mais non démontrés à ce jour chez l’homme. « Il a fallu attendre 2006 pour observer les cancers du sein chez les femmes exposées au distilbène [un œstrogène de synthèse prescrit aux femmes enceintes dès 1940 et interdit en 1977 en France] », rappelle-t-elle.
Près de 500 perturbateurs endocriniens (PE), des substances capables d’interférer avec le système hormonal, ont été identifiés à ce jour. Cette famille inclut les phtalates et le BPA, certains pesticides, des métaux lourds, des polluants organiques persistants (POP) comme les PCB et dioxines, des médicaments et les phytoestrogènes naturels comme le soja. Présentes à faibles doses dans l’environnement (eau, sol) et la chaîne alimentaire, ces molécules se retrouvent souvent dans le sang et l’urine humaines. Leurs impacts sur la faune sauvage, comme la féminisation des poissons, ont été largement démontrés.
L’hypothèse selon laquelle ils pourraient être à l’origine de certaines pathologies humaines a été soulevée pour la première fois lors de la conférence de Wingspread en 1991. « Il fallait du courage pour lancer cette hypothèse, validée depuis par de nombreux articles scientifiques», souligne André Cicolella, président du RES.
Absence de preuves chez l’homme
De nombreuses études ont en effet montré des effets des PE sur des modèles animaux. « On est sûr des effets néfastes chez le rat et la souris, à des concentrations très faibles, mais il n’y pas encore de preuves chez l’homme. Ce sont toutefois des signaux d’alerte», indique Ana Soto.
Chez la souris en période périnatale, l’exposition à de faibles doses de BPA, induit par exemple une puberté précoce et une perturbation de l’activité cyclique chez les femelles mais aussi troubles du comportement et obésité. Chez le rat, l’exposition au BPA accroît les lésions précancéreuses.
« Il est difficile d’extrapoler à l’homme les résultats observés chez l’animal, rappelle cependant Patrick Fénichel endocrinologue à l’Inserm de Nice. La forte augmentation des cancers du sein, de la prostate et de la testicule, suggèrent néanmoins le rôle joué par les facteurs environnementaux ». Aucune relation causale entre exposition à un PE et un de ces types de cancers n’a encore pu être démontrée de façon certaine.
« L’épidémie d’obésité chez les enfants depuis les années 1980 est concomitante avec l’augmentation de la pollution (sans que cela prouve une relation causale, », explique Robert Barouki, directeur de recherche à l’Inserm de Paris. Certaines études ont toutefois montré un lien entre exposition prénatale au BPA et une hausse du poids à l’âge adulte. « De nombreux arguments plaident en faveur du rôle des polluants dans l’épidémiologie des maladies métaboliques (obésité, maladies cardiovasculaires, diabète) mais leur poids par rapport aux autres facteurs (sédentarité, alimentation) reste complexe » conclut-il.
Les PE sont également suspectés de jouer un rôle dans la hausse des malformations génitales chez l’homme, dans les dysfonctionnements de l’intestin ainsi que dans certains troubles psychiatriques (dépression, anxiété).
Changer de paradigme
Les chercheurs se heurtent néanmoins à des difficultés, comme l’évaluation de l’exposition passée (d’où la nécessité de développer des marqueurs prédictifs) et l’évaluation de l’effet « cocktail » des mélanges de substances.
De fait, les PE agissent différemment des polluants « classiques », comme le plomb ou le mercure. « Alors que ces ‘poisons classiques’ provoquent des effets aigus visibles à doses fortes, les ‘poisons modernes’ à faibles doses et sous forme de mélange, induisent des effets chroniques,», explique Robert Barouki. Il plaide pour une « sophistication des paradigmes » de l’évaluation des risques qui permette de prendre en compte le mode d’action des nouveaux polluants, dont l’effet peut être indépendant de la dose. Les études devraient également prendre en compte les périodes critiques d’exposition (vie fœtale, enfance, puberté).
André Cicolella considère « qu’il est absurde d’attendre les résultats des études épidémiologiques pour réglementer les substances, dont le caractère cancérogène est démontré chez l’animal, à l’instar du BPA ».
Alfred Bernard, professeur à l’université catholique de Louvain, estime qu’il faudra conjuguer des études expérimentales et épidémiologiques pour évaluer l’effet « cocktail ». « On n’aura jamais de certitudes, prévient-t-il toutefois. Mais les mesures de prévention pour les groupes très vulnérables ne doivent pas attendre ».
Pour Ana Soto, « il ne s’agit plus d’un problème scientifique mais de politique de santé. On a besoin des législateurs pour changer de paradigme ». Un point de vue qui n’est pas consensuel dans la communauté scientifique. « Il faut des mesures de précaution mais le problème scientifique n’est pas encore résolu », affirme ainsi Henri Rochefort, membre de l’académie de médecine et co-auteur du rapport sur la prévention des cancers du sein (2008).
Dans ce contexte le rapport et l’avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) sur les PE qui doit être publié avant la fin de l’année, est très attendu. « On touche aux limites du système actuel d’évaluation des risques », explique Gérard Lasfargues, directeur adjoint de l’Agence. Il propose de mettre en place de nouveaux schémas d’évaluation des risques, qui permettraient de recommander des mesures adaptées -de l’information à l’interdiction des substances- en fonction de l’appréciation du risque. « Je revendique la notion du principe de précaution car, face aux questions d’incertitudes, le scientifique ne peut pas rester désengagé », affirme-t-il. L’interdiction du BPA dans les biberons, votée fin juin au Parlement, doit entrer en vigueur le 1er janvier 2011. Le gouvernement s’est également engagé à ouvrir un débat sur l’interdiction générale du BPA dès janvier 2011.
Fuente: Journal de L'Environnement
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